dimanche 16 mai 2010

7e salon du livre de Cayenne




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André PARADIS pour « Des hommes libres » Ibis Rouge,2005

Un premier chapitre qui retient l’attention. Thibaut, le narrateur, entre dans une librairie parisienne tenue par celui qu’il n’a jamais pu appeler Papa. Et il lui annonce qu’une analyse de sang prouve qu’en dépit de ce qu’il appelle sa « particularité », il est bien son fils.

Sa particularité, nous l’apprendrons très vite, est qu’il est né mulâtre dans une famille de blancs n’ayant eu dans son histoire, à sa connaissance, aucun commerce avec la « race » noire. La coupable désignée avait donc été une épouse obligatoirement pécheresse… et le libraire très croyant avait, semble-t-il, vécu l’offense comme une épreuve imposée par Dieu.

Thibaut pense à sa mère qui jusqu’alors a dû vivre son infortune dans une incompréhension la plus totale de l’événement.

Lui-même n’est pas très remué par cette révélation. Enfant, il ne s’était jamais senti « noir » jusqu’au jour où le hasard lui avait fait rencontrer un homme qui avait reconnu dans son type physique, celui d’un Guyanais.

Le lecteur apprend par ailleurs l’existence d’un manuscrit transmis à travers les siècles et retrouvé dans le grenier d’une vieille maison à Cayenne. L’auteur nous fait alors remonter dans les méandres de l’histoire guyanaise. On croise le chemin de Victor Hugues ou de la religieuse Anne-Marie Javouhey. Antoine, un nègre marron pétri des idées de Jean-Jacques Rousseau nous devient familier ainsi que Consuela une blanche « à la manière du Brésil» autrement dit d’origine amérindienne. La trame romanesque s’imbrique dans une fresque historique du pays et s’achève sur la révélation d’un secret familial soigneusement dissimulé par des ancêtres, qui ne savaient pas que ce non-dit rejaillirait malencontreusement sur leurs descendants.

André Paradis a traité un beau sujet et confère au roman à visée historique ses lettres de noblesse.

Marie-Noëlle RECOQUE

« Atipa » d’Alfred Parépou, 1885 Editions Caribéennes, 1980.

« Atipa » : perdu et retrouvé…
à Washington.

Alfred Parépou est le premier à avoir rédigé en créole, un ouvrage de douze chapitres, dans une graphie (à la fois étymologique et phonétique) sur laquelle, on le voit bien, il a tenté une première réflexion.
Jusqu’à une époque récente, on ne trouvait pas trace du moindre exemplaire d’ «Atipa » et pourtant on savait qu’il avait existé. D’abord parce qu’un célèbre linguiste et créoliste allemand du XIXè siècle (oui, déjà !) Hugo Schuchardt en avait rendu compte dans un article et aussi parce qu’en France à la Bibliothèque Nationale, subsistait une fiche prouvant que ce roman y avait été répertorié.
Et c’est seulement en 1980, que l’ouvrage considéré comme le texte fondateur de la littérature en créole fut retrouvé aux Etats-Unis, dans la Bibliothèque du Congrès, à Washington.
Les Editions Caribéennes rééditèrent Atipa », livre reconnu par l’UNESCO comme Œuvre représentative de l’humanité, avec une présentation critique de Lambert Félix Prudent et une traduction abrégée, en français, de Michel Lohier.



« Mo chè compatriote yé la,
A pou zòte mo fait Atipa. A pas francé non, a criole. »

C’est la dédicace qu’Alfred Parépou adresse aux Guyanais, quatre décennies après l’abolition de l’esclavage. A une époque d’assimilation pourtant galopante, pour la première fois un créolophone prend sa plume pour écrire un texte long de plus de deux cents pages dans sa langue.
Il s’agit d’une gageure. L’auteur prévient son lecteur : « Limprimerie France yé la, pas savé écrit criole/…/ yé trompé toujou oune tas côté. Ca pou ca fait engnin ; mo savé zòte wa comprendne li toute meinme. »

Le héros porte le nom d’un poisson dont il est friand : Atipa.
Ainsi commence ce texte amusant: « Oune jou, jédi, cété la beautemps, Atipa, oune ovrié mine d’ò, té ca fait so pronmeinnade, la lavancé, li cotré, qué oune di so zanmi, li pas té wai dipis longtemps. »
Atipa, chercheur d’or, va profiter de son séjour à Cayenne pour s’entretenir avec ses amis. Les rencontres sont nombreuses et les conversations livrées le plus souvent dans les bars vont permettre de rendre compte des réalités guyanaises notamment sociales et politiques. Atipa a des idées bien arrêtées et un sens critique dont il nous fait profiter.
Il brocarde les nègres s’obstinant à parler un français qu’il ne maîtrise pas. « Ou pas savé oune langue, ou wlé palé li, ou vle fait cranne./… /Ou ca criole, palé donc ou langue, pasé ou massacré francé. »
Nous sommes en 1885, déjà, on se plaint de l’émigration : les pêcheurs créoles font des pétitions pour que les autorités interdisent aux Chinois de pêcher (on les avait fait venir pour cultiver la terre); mais l’auteur d’ajouter par la bouche d’un de ses personnages : « Tu vois leur bêtise. Sans les Chinois, les trois quarts du temps le poisson manque à Cayenne ».
Atipa s’en prend aux élus : « Depuis que nous votons, il n’y a eu aucun changement, au contraire, les choses vont plus mal. /…/ Ils dépensent de l’argent inutilement. /…/ Au conseil, ils ne font que changer les noms des rues, ainsi la Traversière qui ne traverse rien du tout. On devrait donner aux rues des noms que tout le monde connaît plutôt que d’aller chercher en France des noms que l’on ne connaît pas. »
Il est surtout question de vie quotidienne et les détails les plus prosaïques sont relevés. Ainsi lorsqu’Atipa veut couper du saucisson en tranches fines à la française, son ami en veut un gros morceau et dit que lui, il ne mange pas le saucisson à la « blangue » mais à la « nègue » car il prend mieux le goût. Et puis on critique la cassave de Kourou, pleine de sable, à laquelle on préfère le bon couac de Montsinéry…

Au fil du dialogue, les freins à l’évolution de la Guyane sont répertoriés : la trop faible population, le manque d’instruction des populations amérindiennes, l’absence d’infrastructures pour faciliter les déplacements, le grand nombre de « popotes », la monoculture de la canne au détriment des produits comme le tabac ou les bois précieux, l’attrait de l’or qui marque le coup d’arrêt de l’agriculture…

L’attitude des Guyanais est analysée. Ils font des différences entre eux selon leur couleur de peau : «Les belles mulâtresses ne veulent pas s’entendre appelées « négresses». Les privilégiés vont vivre en France et Atipa de les railler : « Je connais des Guyanais qui, ayant passé quelques mois en France, à leur retour font semblant d’oublier même le créole… Je vais te citer comme exemple, l’un d’eux, qui voyant un atipa, demande à ses amis : « Ça s’écaille-ti ? ou ça se plume-ti ? n’est-ce pas des propos à jeter la honte parmi nous ? »

Il y a du Frantz Fanon bien avant l’heure chez Alfred Parépou, l’auteur perspicace d’Atipa. C’est le bon sens qui parle d’autant plus que son héros n’est en aucune manière complexé en tant que nègre. Il a vécu en France, il raconte : « Les petits massogans (nom péjoratif donné aux Blancs) couraient après moi. Il est vrai qu’il n’y avait pas beaucoup de nègres à l’époque. Un jour, l’un d’eux m’appela « boule de neige », je lui répondis « boule de concombre » et l’ai tenu par la ventrèche. Je ne me fâchais pas outre mesure, les tenants pour des imbéciles. »

Atipa est également féru d’histoires drôles et il regrette le bon vieux temps, celui des cric-crac, massac, massac ! cam. Kini-kini : bois sec ! Les contes sont (déjà) passés de mode, il en raconte notamment un dont il se souvient :
Le bœuf, la femme et le Bon Dieu.
- Que ferai-je de ce qui est dans mon ventre ?
- Mets-le à terre, dit Dieu.
La vache lâcha petit veau à terre.
- Et moi, comment ferai-je, dit la femme ?
- Comme la vache, dit le Bon Dieu.
Mais la future mère trouva son enfant trop délicat pour le jeter à terre comme fit la vache. Son cœur saignait à cette pensée.
-Eh ! dit Dieu, tiens-le alors.
C’est pour cette raison que le petit veau marche dès sa naissance, tandis qu’à nous, il nous faut des mois pour nous tenir debout.

Atipa défend l’idée de la séparation de l’Eglise d’avec l’Etat notamment à l’école ; pour lui le catéchisme doit être remplacé par l’enseignement de la Morale et de la bonne conduite.
Il en veut aux Blancs (politiques, journalistes, médecins) qui racontent sur la Guyane des inepties. « Il y a des tas de gens, commença Atipa, qui ne cherchent pas à s’informer auprès des habitants, ni à connaître le passé du pays, mais qui écrivent sur la Guyane. La plupart du temps, leurs livres et leurs journaux sont des tissus de mensonge qui font du tort à la réputation du pays, car ceux-là qui les lisent sans chercher à connaître la vérité dénigrent le pays. »

Atipa aime son pays et souffre de le voir dévalorisé, d’autant plus que nombreux sont les étrangers venus y faire fortune. Alors, il répare avec humour les torts faits à la Guyane et son discours touche le lecteur par son étonnante modernité.

Marie-Noëlle RECOQUE

samedi 8 mai 2010

Le Guyanais Raoul DIAGNE





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son oncle et son père

Voile de misère sur les filles de Cham » de Françoise JAMES LOE-MIE (Ibis Rouge, 2002)


James Loe-Mie nous propose, dans une langue française mâtinée de créole et souvent avec humour, une série de portraits de femmes.
Miss Fesbalan, appelée La Matrone, est Sainte-Lucienne. Elle est dotée d’un solide tempérament, collectionne les amants et fait des enfants dont elle ne se soucie pas.
Mary-Charling, sa fille, abandonnée dans un premier temps comme un paquet de linge sale, puis récupérée inopinément, devient son souffre-douleur. La fille déteste la mère.
Installée en Guyane, La Matrone court les bals et les musiciens. Puis elle livre sa fille à un chercheur d’or, buveur de rhum, contre quelques pépites et du poisson salé
Recueillie par le bon M. Soubilong, dont elle aura deux enfants, elle découvre la passion avec Chalfouk un fringant saxophoniste-orpailleur. Puis un jour, elle quitte époux et amant pour se rendre en ville. Exploitée, toute la semaine, comme servante chez des blancs, elle se console en chantant le samedi soir dans un dancing. Elle y tombe en pamoison devant Vanlolo Cholson, dit Bèlkòk, un homme d’origine indienne. La canne et l’usine auront raison de leur amour mais ils auront une fille, Séfilienne.
Séfilienne devint le souffre-douleur de Mary-Charling, qui avait elle-même été celui de sa mère Fesbalan. Battue, brimée, humiliée, maltraitée, la jeune fille ne comprendra que tardivement la raison de ce déchaînement de violence à son encontre. Mary-Charling avait fait tout son possible pour n’avoir que des enfants à peau claire, alors « qu’est-ce que l’enfant avait à être noire comme ça ? »
Dans son roman, en toile de fond, l’auteur nous donne à voir son pays. C’est l’époque de De Gaulle et de Gaston Monerville. Les derniers « popottes » viennent de quitter le bagne, la station spatiale de Kourou est en passe d’être construite et l’ORTF en est à ses balbutiements. L’émigration est galopante, surtout celle des Haïtiens dont Françoise James Loe-Mie nous parle avec humour. Elle explique comment les Guyanais haïssaient ces compatriotes des Duvalier ( pas leurs femmes dont ils faisaient leurs maîtresses) et dans le même temps se prenaient de passion pour leur jeu de bolette, « on n’écoutait plus les Jeux des Mille francs, mais à l’aide de transistors trafiqués, les émissions de stations radiophoniques de Miami transmettant les tirages en direct. »
Une histoire touchante que celle de ces filles de Cham.

Marie-Noëlle RECOQUE

Extrait : Dans une veillée mortuaire.
"Mais voilà : plusieurs inconnus entamèrent le langage ingrat du tafia pris par méchanceté et se firent repérer par la famille, dénoncés par les mots sales des Nègres sans éducation, qu’on évite dans les coins de rues bien fréquentées. Malgré les souffrances que supposait le deuil, les individus furent éjectés de la veillée. La famille les renvoya à d’autres occupations afin de préserver la sérénité fragile et, surtout les dernières bouteilles de Cayennaise, rares en ces temps de pénurie d’esclaves de canne à sucre. Ce fut à coup d’injures et d’imprécations que les indésirables quittèrent les lieux ; rats de la veillée, experts, versant plus de larmes et de paroles faciles que n’importe qui d’autre parmi l’assemblée : « Sacrés voraces de gens sans éducation qui se permettent de renvoyer des personnes aussi touchés qu’eux par la fin tragique de …de…comment elle s’appelle encore… ? »

« ABEL… » de Lyne-Marie STANLEY (Ibis Rouge, 2006)




A l’origine de toute l’histoire, une faute commise par Ernestine : sa fille Berthilde, née rose avec des yeux très clairs, était la fille d’un « popotte » autrement dit d’un bagnard. « Définitivement souillée », elle s’était réfugiée au Surinam, avant de revenir vivre à Cayenne avec Léon, un brave homme qui ne lui tenait pas rigueur de son passé.

Berthilde épousa Médard, un fils de paysans expropriés lors de l’installation de la base spatiale de Kourou. Le couple eut trois fils : Gaëtan qui prit rapidement la tangente en s’engageant dans l’armée, Urbain, bon élève, bon fils, la prunelle des yeux de ses parents et Belphé, un enfant rebelle, extraverti, joueur de dés et de belotte, dans le quartier populaire de Rot bo krik.

Médard, bras droit du secrétaire de mairie, observait les magouilles de la municipalité sans oser les dénoncer car il ne voulait pas risquer de perdre sa place ni celle de son épouse, employée communale, en tant que balayeuse de rue. Et surtout, il voyait en son fils préféré Urbain, un leader politique potentiel, et il tenait à lui mettre le pied à l’étrier.

Urbain fit des études de droit en France, ses parents se languirent de lui, attendant son retour comme celui du messie. Jamais Belphé n’eut pas droit à leur attention, il obtint un CAP, « ses parents remercièrent le Seigneur, oubliant de féliciter le jeune homme ». Celui-ci, sensible à l’injustice, regarda autour de lui et découvrit que son pays aussi souffrait, alors il devint militant du MOGUADE, un parti anticolonialiste. Ses parents le prirent mal et l’accusèrent de vouloir nuire à son frère, sous-directeur de banque et futur député de Guyane sous la bannière d’un parti fidèle à la mère-patrie.

L’opposition entre Urbain et Belphé ira en s’exacerbant: cherchez la femme ! Puis ce sera la tragédie : « Abel… !».

Ce roman nous parle de séquelles de la colonisation, de la volonté d’émancipation pour les uns, du choix de l’assimilation pour les autres.

Lyne-Marie Stanley, avec simplicité, nous ouvre une fenêtre sur son pays, la Guyane.

Marie-Noëlle RECOQUE

Extrait : Belphégor avait esquissé un léger sourire en voyant le crapaud. Deux avocats créoles et un juge métropolitain entouraient ce dernier. Les deux créoles avaient une attitude prudente prêts à s’écarter au moindre mouvement de la bête, ils conseillaient à la femme blanche de ne pas s’approcher. Mme la juge s’impatientait, elle n’allait pas annuler la séance à cause d’un vulgaire crapaud, elle avait une dure journée devant elle. Elle se mit à crier !

- Qui a mis cette bête ici ? Que la personne concernée, veuille bien l’enlever !

La foule avait bien entendu. Personne ne broncha, pourtant ils avaient tous vu entrer, la première, dés l’ouverture des portes, une femme d’un certain âge, une grosse boîte à la main qu’elle avait ouverte et d’où était sortie l’énorme bête. Elle était habillée de blanc, la tête attachée d’un foulard noir, une chaîne portant un crucifix autour du cou. Impassible, elle les regardait tous, semblant les mettre au défi de la désigner. Ils baissèrent les yeux, deux ou trois sortirent, ils ne doutaient plus de l’issue du procès.

dimanche 18 avril 2010

En mémoire à Paul JEAN-JOUIS



Paul JEAN-LOUIS fut co-auteur de deux ouvrages portant sur l'histoire pour le premier et le second sur la géographie.