dimanche 18 octobre 2009

A MISERÀVEL REVOLUÇÀO DAS CLASSES INFAMES de DÉCIO FREITAS ou l’itinéraire d’un adepte de Gracchus Babeuf au pays des marrons

N’Gola, est la reine qui dirige le village de marrons où vient se réfugier Jean-Jacques Berthier. On doit à ce Français, déporté politique à Cayenne sous la révolution française, une description assez précise de ce site qu’il nomme Mocambo.700 habitants y sont installés, tous Noirs à part quelques Indiens. Parmi eux, les 10% de femmes sont particulièrement choyées, elles choisissent elles-mêmes leurs maris et en ont toutes quatre ou cinq. Ces derniers, chassent, pêchent, effectuent toutes les tâches domestiques et prennent soin des enfants, une femme peut en avoir jusqu’à vingt.
Dans des directions opposées, quatre autres villages protègent le site de celui-ci , chacun situé à une dizaine de kilomètres se compose d’environ trois cents habitants. Jean-Jacques Berthier va habiter trois ans au milieu de cette communauté de plus de deux mille personnes. Quand il y arrive en 1827, Mocambo existe depuis plus de cinquante ans. C’est ce qu’il écrit dans les lettres qu’il envoie par la suite à son frère à Nantes. Après avoir juré à la reine qui l’avait engagé dans sa milice de ne pas révéler l’emplacement de ce véritable petit pays organisé autour d’une monarque très autoritaire mais qu’on élit à mains levées, il regagne Belém qui est à 17 jours de canot. Ce n’est probablement pas très loin de la Guyane précise l’auteur. Antoine, l’esclave qui guide Berthier vient lui-même de là.
Les 57 lettres authentiques qui servent de base à ce récit et que Jean-Jacques Berthier envoie à son frère ont été remises à l’auteur Décio Freitas. Historien brésilien bien connu, celui-ci a été aussi avocat, procureur de la république et militant du parti communiste. A ce titre, il a fait un séjour prolongé en Uruguay après le coup d’état des militaires au Brésil en 1964. C’est là qu’il a rencontré celui qui lui remet les lettres vingt ans après, un anarchiste espagnol en exil. Ce dernier les tient de sa femme qui est Bretonne et vient de recevoir en héritage ces documents rédigés en Breton du début du XIXème siècle. Après la remise qui se fait à Barcelone, plusieurs années sont nécessaires pour les traduire.
Décio Freitas a écrit plusieurs ouvrages sur le maronnage au Brésil, ses travaux ont permis de démontrer que Zumbi n’était pas un personnage de la mythologie mais qu’il avait réellement existé et commandé le plus grand quilombo ou pays marron du Brésil. (Palmares : a guerra dos escravos, 1971)
Après plus de quinze publications et nombre d’articles sur les révoltes populaires au Brésil, Décio Freitas a construit ce récit qui donne vie à Jean-Jacques Berthier, typographe condamné au bagne de Cayenne pour avoir participé à la conspiration de Gracchus Babeuf et reconstitue tout un univers autour de lui centré principalement sur la région du Para dans le nord du Brésil. Optant délibérément pour une fiction, il met en relation directe présent et passé car comme il l’écrit dès le chapitre un, c’est le présent qui fait le passé.
Avec lui, nous rencontrons Berthier à son arrivée à Cayenne, il a quinze ans. Suit une brève description de la ville mais c’est surtout à Belém que nous le voyons évoluer, à partir de 1820, au sein d’une population qui va vivre la plus grande révolte du XIXème siècle en Amérique du sud. Afin de réprimer et d’enrayer le soulèvement populaire qui prend le pouvoir quelques mois en 1835, 40 000 habitants seront massacrés sur les 80 000 que comptait la région du Para à ce moment là. L’enjeu est important, des esclaves, des Métis de Noirs et d’Indiens, des Noirs ont mené la révolte. Jean-Jacques Berthier vit au milieu d’eux, c’est le Cabanagem. Pourtant, un des instigateurs, le chanoine Batista Campos pense que les esclaves ne sont capables de mener que des révolutions destructives comme celle de Rome ou de Saint Domingue.
Berthier est très lié au mouvement révolutionnaire qui se met en place, il juge, et évalue le travail des leaders, Antonio Vinagre ou Eduardo Nogueira Angelim. Il participe et rencontre régulièrement d’autres exilés politiques français qui se sont également réfugiés à Belém. Marqué dès son adolescence par les idées de Babeuf, il les confronte à la réalité coloniale de cette région du Nord du Brésil qui sera rattachée à l’Empire naissant en 1823 après l’intervention musclée d’un mercenaire anglais envoyé par Pedro 1er.
Il est irrité par les propos de deux savants allemands Von Martius et Johan Spix qui préfèrent s’occuper d’autres questions scientifiques comme recenser la flore amazonienne plutôt que s’intéresser à la condition des êtres humains notamment de ces Africains esclaves qui pour eux ne sont pas vraiment des hommes. Il est aussi très ému et stupéfait par le suicide de cette comtesse Autrichienne qui préfère mourir plutôt que de retourner en Europe avec ses quatre enfants métis.
Le récit fourmille de détails, notamment la vie sexuelle de Jean-Jacques Berthier est présentée comme la lui relate probablement, avec une liberté d’esprit que l’auteur affirme avoir reconstruite à partir de ses lettres. Dommage que cette fiction qui présente un personnage imprégné par des idées très en avance sur son temps ne soit pas encore traduite en français. Le regard et le point de vue sur le monde de la plantation romancés par un historien qui choisit délibérément cette forme d’écriture pour mieux traduire la réalité constitue un précieux témoignage.

Dominique Boisdron

Ouvrage : A miseràvel revoluçào das classes infames / Décio Freitas . – Editora Record . - Rio de Janeiro, 2005.

N.B. : Décio Freitas a fait don des lettres originales à l’université Fédérale du Para.

1 commentaire:

  1. Je suis Prof. de Littérature´`a l'université Fédéral du Para. Je connais le livre de Decio Freitas qui ma fasciné. Pourtant je n'ai jamais entendue parler de ces lettres a Belem.....

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