vendredi 4 décembre 2009

L’énigme du retour, Dany Laferrière


Dany Laferrière
L’énigme du retour
Grasset. 2009. 301p.


Cette lumière bleutée
Rasant le fleuve
M’aspire d’un seul souffle.
La voiture fait une embardée.
Je reprends le contrôle juste à temps.
Mourir dans la beauté des choses
N’est pas donné au petit-bourgeois
Que je suis.

Je suis conscient d’être dans un monde
A l’opposé du mien.
Le feu du sud croisant la glace du nord
Fait une mer tempérée de larmes. (Extrait p.17)

La nouvelle gémit au téléphone. Le père est mort. Tout se fige en aphonie indicible. Ce que l’on sait qui doit se produire blesse, sidère, dans un espace-temps qui brutalement se défait au ralenti. Et c’est dans un road-book-movie partagé entre le Nord et le Sud conduisant au deuil du père et au pays d’origines, que Dany Laferrière nous engage, hébété.
J’aurais bien du mal à définir ce texte qui danse entre hommage poétique à l’Absent et chronique sociale réaliste sur des lieux traversés, de Montréal, à Manhattan, à Petit-Goâve, à Baradères. Mélancolie. Divague ou flânerie. Désabusé et colère. Temps mou. Le regard suspendu effleure la surface des choses, la serveuse qui circule entre les tables, le café froid, la valise qui sonne le départ, le corbillard imperturbable, glissant sur l’eau, les rideaux de la petite chambre nue de Brooklin où le père a vécu en solitaire dégradé.
De lui, le fils ignore jusqu’à sa manière de nouer sa cravate, il demeure un vrai mystère que la petite mallette déposée à la banque ne dénouera pas. Plus souvent perdu dans le maquis que les pieds endormis dans les mains fraternelles de sa femme (allusion au Balcon de Charles Baudelaire qu’il aimait tant), perdu dans un exil forcé sans foi de retour, Windsor Laferrière, maire de Port-au-Prince puis sous-secrétaire d'Etat au commerce, et opposant au régime de Papa Doc, s’est abimé dans un silence rédhibitoire, une folie crasse comprise de lui seul. Quant à la mère, elle n’a d’abord pas entendu, machinalement elle rentre et sort de son doigt l’anneau de mariage à l’annonce de la mort de l’attendu, fredonne un chant de marins paniqués. Douleur nue.
Dany Laferrière entame alors une descente pour ainsi dire initiatique au cœur d’Haïti dont il se refuse le portrait misérabiliste. C’est en journaliste-chroniqueur de métier, précis, grave, grinçant, gouailleur, au style parfois « facile », qu’il nous livre la ville des gueux et des riches debout avant l’aube, le peuple d’inconnus qui résistent à la nuit, les innombrables missionnaires laïques ou non d’ONG, plus proches de leur piscine que des bidonvilles qu’ils ont la charge d’éradiquer, les imbibés de Dior et les trempés de pisse, et même les amis de passage qu’il ne reconnaît pas toujours. C’est en cinéaste averti qu’il « zoome » sur ces gestes du quotidien, sourires volés à la vieille dame de 98 ans qui tient l’hôtel Ifé, la vieille voiture de son neveu, décapotable à l’envers, le nez à la fenêtre. C’est en poète qu’il nous évoque sa famille proche, cette fillette qui dort dans les bras de celle qui compte la recette du jour ou le Baron Samedi, dieu paillard et funèbre qui nous rappelle le hiatus existant entre nos airs urbains et les chants sacrés qui fondent nos naissances.
Entre magnifique état de grâce porté par des haïkus qui chantent les êtres aimés, entrevus ou abandonnés au hasard de rencontres inabouties et lecture lucide d’une société à la fois proche et étrangère à celui qui la raconte, il reste un homme retrouvé, Prix Médicis 2009.

Monique Dorcy

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