samedi 8 mai 2010

« ABEL… » de Lyne-Marie STANLEY (Ibis Rouge, 2006)




A l’origine de toute l’histoire, une faute commise par Ernestine : sa fille Berthilde, née rose avec des yeux très clairs, était la fille d’un « popotte » autrement dit d’un bagnard. « Définitivement souillée », elle s’était réfugiée au Surinam, avant de revenir vivre à Cayenne avec Léon, un brave homme qui ne lui tenait pas rigueur de son passé.

Berthilde épousa Médard, un fils de paysans expropriés lors de l’installation de la base spatiale de Kourou. Le couple eut trois fils : Gaëtan qui prit rapidement la tangente en s’engageant dans l’armée, Urbain, bon élève, bon fils, la prunelle des yeux de ses parents et Belphé, un enfant rebelle, extraverti, joueur de dés et de belotte, dans le quartier populaire de Rot bo krik.

Médard, bras droit du secrétaire de mairie, observait les magouilles de la municipalité sans oser les dénoncer car il ne voulait pas risquer de perdre sa place ni celle de son épouse, employée communale, en tant que balayeuse de rue. Et surtout, il voyait en son fils préféré Urbain, un leader politique potentiel, et il tenait à lui mettre le pied à l’étrier.

Urbain fit des études de droit en France, ses parents se languirent de lui, attendant son retour comme celui du messie. Jamais Belphé n’eut pas droit à leur attention, il obtint un CAP, « ses parents remercièrent le Seigneur, oubliant de féliciter le jeune homme ». Celui-ci, sensible à l’injustice, regarda autour de lui et découvrit que son pays aussi souffrait, alors il devint militant du MOGUADE, un parti anticolonialiste. Ses parents le prirent mal et l’accusèrent de vouloir nuire à son frère, sous-directeur de banque et futur député de Guyane sous la bannière d’un parti fidèle à la mère-patrie.

L’opposition entre Urbain et Belphé ira en s’exacerbant: cherchez la femme ! Puis ce sera la tragédie : « Abel… !».

Ce roman nous parle de séquelles de la colonisation, de la volonté d’émancipation pour les uns, du choix de l’assimilation pour les autres.

Lyne-Marie Stanley, avec simplicité, nous ouvre une fenêtre sur son pays, la Guyane.

Marie-Noëlle RECOQUE

Extrait : Belphégor avait esquissé un léger sourire en voyant le crapaud. Deux avocats créoles et un juge métropolitain entouraient ce dernier. Les deux créoles avaient une attitude prudente prêts à s’écarter au moindre mouvement de la bête, ils conseillaient à la femme blanche de ne pas s’approcher. Mme la juge s’impatientait, elle n’allait pas annuler la séance à cause d’un vulgaire crapaud, elle avait une dure journée devant elle. Elle se mit à crier !

- Qui a mis cette bête ici ? Que la personne concernée, veuille bien l’enlever !

La foule avait bien entendu. Personne ne broncha, pourtant ils avaient tous vu entrer, la première, dés l’ouverture des portes, une femme d’un certain âge, une grosse boîte à la main qu’elle avait ouverte et d’où était sortie l’énorme bête. Elle était habillée de blanc, la tête attachée d’un foulard noir, une chaîne portant un crucifix autour du cou. Impassible, elle les regardait tous, semblant les mettre au défi de la désigner. Ils baissèrent les yeux, deux ou trois sortirent, ils ne doutaient plus de l’issue du procès.

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