samedi 8 mai 2010

Voile de misère sur les filles de Cham » de Françoise JAMES LOE-MIE (Ibis Rouge, 2002)


James Loe-Mie nous propose, dans une langue française mâtinée de créole et souvent avec humour, une série de portraits de femmes.
Miss Fesbalan, appelée La Matrone, est Sainte-Lucienne. Elle est dotée d’un solide tempérament, collectionne les amants et fait des enfants dont elle ne se soucie pas.
Mary-Charling, sa fille, abandonnée dans un premier temps comme un paquet de linge sale, puis récupérée inopinément, devient son souffre-douleur. La fille déteste la mère.
Installée en Guyane, La Matrone court les bals et les musiciens. Puis elle livre sa fille à un chercheur d’or, buveur de rhum, contre quelques pépites et du poisson salé
Recueillie par le bon M. Soubilong, dont elle aura deux enfants, elle découvre la passion avec Chalfouk un fringant saxophoniste-orpailleur. Puis un jour, elle quitte époux et amant pour se rendre en ville. Exploitée, toute la semaine, comme servante chez des blancs, elle se console en chantant le samedi soir dans un dancing. Elle y tombe en pamoison devant Vanlolo Cholson, dit Bèlkòk, un homme d’origine indienne. La canne et l’usine auront raison de leur amour mais ils auront une fille, Séfilienne.
Séfilienne devint le souffre-douleur de Mary-Charling, qui avait elle-même été celui de sa mère Fesbalan. Battue, brimée, humiliée, maltraitée, la jeune fille ne comprendra que tardivement la raison de ce déchaînement de violence à son encontre. Mary-Charling avait fait tout son possible pour n’avoir que des enfants à peau claire, alors « qu’est-ce que l’enfant avait à être noire comme ça ? »
Dans son roman, en toile de fond, l’auteur nous donne à voir son pays. C’est l’époque de De Gaulle et de Gaston Monerville. Les derniers « popottes » viennent de quitter le bagne, la station spatiale de Kourou est en passe d’être construite et l’ORTF en est à ses balbutiements. L’émigration est galopante, surtout celle des Haïtiens dont Françoise James Loe-Mie nous parle avec humour. Elle explique comment les Guyanais haïssaient ces compatriotes des Duvalier ( pas leurs femmes dont ils faisaient leurs maîtresses) et dans le même temps se prenaient de passion pour leur jeu de bolette, « on n’écoutait plus les Jeux des Mille francs, mais à l’aide de transistors trafiqués, les émissions de stations radiophoniques de Miami transmettant les tirages en direct. »
Une histoire touchante que celle de ces filles de Cham.

Marie-Noëlle RECOQUE

Extrait : Dans une veillée mortuaire.
"Mais voilà : plusieurs inconnus entamèrent le langage ingrat du tafia pris par méchanceté et se firent repérer par la famille, dénoncés par les mots sales des Nègres sans éducation, qu’on évite dans les coins de rues bien fréquentées. Malgré les souffrances que supposait le deuil, les individus furent éjectés de la veillée. La famille les renvoya à d’autres occupations afin de préserver la sérénité fragile et, surtout les dernières bouteilles de Cayennaise, rares en ces temps de pénurie d’esclaves de canne à sucre. Ce fut à coup d’injures et d’imprécations que les indésirables quittèrent les lieux ; rats de la veillée, experts, versant plus de larmes et de paroles faciles que n’importe qui d’autre parmi l’assemblée : « Sacrés voraces de gens sans éducation qui se permettent de renvoyer des personnes aussi touchés qu’eux par la fin tragique de …de…comment elle s’appelle encore… ? »

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